<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Espace Schengen et frontières en Europe. John Laughland

20 novembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Espace Schengen et frontières en Europe. John Laughland. Crédit photo : Unsplash

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Espace Schengen et frontières en Europe. John Laughland

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Loin d’être un espace ouvert, l’Europe est parcourue de multiples frontières, physiques ou immatérielles. L’Union européenne tente aussi de les définir, notamment à travers l’espace Schengen. Entretien avec John Laughland.

Cet entretien est extrait de l’émission avec John Laughland à retrouver ici

  

Jean-Baptiste Noé : Comment ce traité a-t-il été conçu et négocié, et comment est-il appliqué aujourd’hui ?

John Laughland : L’espace Schengen ne recouvre pas le même espace géographique que l’UE et ses traités : le Royaume-Uni et la République d’Irlande n’en font notamment pas partie. Ensuite, la Suisse ne fait pas partie de l’UE mais est dans Schengen. Ne pas avoir à montrer son passeport aux frontières ne doit pas être confondu avec un principe bien plus ancien, la libre circulation des personnes dans la communauté européenne. Depuis le début de la construction de l’UE on a appliqué ce principe. Tout citoyen pouvait non seulement circuler mais s’installer dans n’importe quel Etat, mais devait alors montrer son passeport. On n’avait pas besoin de visa pour aller de France en Belgique mais il fallait franchir la frontière physique en montrant son passeport. Schengen a créé un nouvel espace, avec des frontières extérieures mais pas intérieures. La crise des migrants a commencé dès 1993-1994, lorsque le traité a été négocié et que l’Italie l’a rejoint. C’est dans ces années que le camp de Sangatte près de Calais s’est développé, les migrants devaient y passer pour franchir la Manche, frontière physique. Lorsque le traité est entré en vigueur en Italie, donc en Méditerranée, la crise des migrants clandestins a commencé. Elle a atteint des dimensions énormes fin 2015, mais le phénomène date de Schengen. Dès qu’on peut aller où on veut, ça fait un appel d’air aux passeurs, migrants clandestins et mafias.

 

JBN : Aujourd’hui, Frontex est chargé de contrôler les frontières extérieures, ce qui suppose un renforcement de la coopération entre les Etats…

JL : Frontex surveille les frontières externes de l’espace Schengen, mais il y a également les gardes-frontières nationaux. Mettre une agence européenne, qui mobilise des fonctionnaires et garde-frontières nationaux, ne change rien, le problème vient du traité lui-même. Alors qu’il fallait traverser plusieurs frontières, une seule suffit désormais, ce qui facilite la vie des passeurs. Il est facile d’entrer en Italie en bateau mais une fois qu’il n’y a plus de frontières entre Italie et France on ne peut rien faire. Il n’y a plus de contrôles, mais si vous prenez un train de Paris à Rome vous verrez des contrôles douaniers des deux côtés de la frontière dans le train.

 

JBN : Un Etat a la possibilité de suspendre ces accords. La France l’a fait pendant les attentats…

JL : Oui, c’est l’une des raisons pour lesquelles les flux migratoires ont baissé depuis 2015. La frontière entre Menton en France et Vintimille en Italie est fermée, et des migrants restent à Vintimille. Dès qu’il y a une frontière physique, vous voyez les gens qu’autrement vous ne verriez pas.

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JBN : Le camp de Sangatte est organisé depuis les années 1990, aujourd’hui c’est un point délicat dans la question migratoire. Cela crée des points de fixation des populations migrantes, y en a-t-il d’autres en Europe ?

JL : La Hongrie a mis une clôture autour de son territoire national, forçant les migrants à passer par un autre chemin : dès lors, on les a vus, on s’en est rendu compte. Dès qu’on abolit les frontières de la France avec l’Italie, les frontières de la France sont en Méditerranée de fait, en Calabrie. Ce phénomène de personnes qui deviennent visibles est le résultat inévitable de ce système.

JBN : Concernant la frontière entre République d’Irlande et Irlande du Nord, on réfléchit aux problèmes qui se poseraient à cause du Brexit ?

JL : Cette histoire récente de la frontière entre Irlande du Nord et Irlande montre le cynisme terrifiant avec lequel l’UE négocie le Brexit. Sciemment, elle a appuyé sur un point névralgique et hautement sensible de l’histoire des îles britanniques à ses fins, celles de mettre des bâtons dans les roues du Brexit. Il n’y a jamais eu de frontière dure sur le sol de l’île d’Irlande, que ce soit dans les années 1920 ou lorsque la république d’Irlande a été créée. Cette frontière a pu rester virtuelle malgré différents régimes qui persistent aujourd’hui encore entre les deux parties de l’Irlande : taxes, monnaie, différences réglementaires… C’est donc un faux problème confectionné de toutes pièces pour contraindre le Royaume-Uni à signer l’accord de retrait. Cette question sensible a pourtant été réglé il y a longtemps, et sans que l’UE y ait de responsabilité. Il n’y avait pas de garde-frontières ou autre. Quand il y a eu des divergences sur la politique migratoire, dans les années 1950, le Royaume-Uni avait mis une frontière légale dans la mer d’Irlande, donc entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne.

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JBN : Concernant le Brexit, on voit que l’Ecosse souhaite rester dans l’UE et que l’Angleterre non. Pourrait-il y avoir des droits de douane ou des contrôles entre les deux ?

JL : Si l’Ecosse devenait indépendante pourquoi pas… La pluralité du Royaume-Uni est récente, elle date du gouvernement travailliste de Tony Blair qui a donné lieu à un gouvernement et à un parlement écossais. Cela alimente des tendances centrifuges. Aujourd’hui, à Edimbourg, les nationalistes au pouvoir sont théoriquement pour l’indépendance de l’Ecosse et le maintien dans l’UE. Pour le moment, c’est une situation bloquée, puisque l’Ecosse a voté en 2014 son maintien dans le Royaume-Uni après trois siècles d’union des deux couronnes. Il n’y a visiblement pas de grand enthousiasme pour un nouveau référendum.

JBN : Il n’y a pas de parlement à Cardiff…

JL : Si ! Le pays de Galles a une autonomie, un peu moindre que l’Ecosse mais réelle, depuis le gouvernement travailliste. Mais les Gallois sont massivement pour le Brexit. De même, en Irlande du Nord, il y a un parlement régional, mais sans gouvernement depuis quelques années à cause des conflits internes entre les communautés.

JBN : Il y a un soutien aux régions, au fédéralisme au sein même des Etats, ce qui se voit en Ecosse ou en Catalogne. Longtemps, l’UE a soutenu cette autonomie…

JL : Une autonomie qui n’en est pas une. Les nationalismes écossais et catalan sont de faux nationalismes, de fausses autonomies : les Catalans et les Ecossais disent vouloir leur indépendance mais rester dans l’UE, or il y a moins d’autonomie des Etats dans l’UE qu’aux Etats-Unis, à cause du droit européen qui n’admet pas d’exceptions, sans possibilité de litiges entre Etats membres et Bruxelles.

JBN : L’autre question des frontières est la question orientale. Aujourd’hui, il y a une frontière conflictuelle entre Russie et Ukraine, ce qui est un échec de l’UE comme le furent les Balkans, alors qu’elle a pour projet la paix…

JL : Echecs certes, mais l’UE y porte une importante responsabilité. Elle les a fortement aggravées en soutenant les sécessionnistes armés dans la Yougoslavie, puis en soutenant une Bosnie unique. L’UE y est pour beaucoup dans la guerre de Yougoslavie. Cela vaut aussi pour l’Ukraine. L’UE se croit l’incarnation du bien, qui aurait affaire à un mal russe ou serbe, dans une perspective eschatologique. L’UE essaie de renouer avec une cohésion interne qui s’effrite en profilant la Russie comme le grand ennemi et en dressant l’Ukraine contre la Russie, en mettant l’Etat ukrainien, faible, devant un choix impossible : vous êtes avec nous ou sans nous. C’est cela qui a abouti à la guerre civile en Ukraine. Dans les deux cas, l’UE s’imagine qu’elle va toujours exercer une force d’attraction sur le continent tout entier, c’est le projet allemand depuis 1989, comme s’il n’y avait que des forces centripètes sur le continent.

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À propos de l’auteur
John Laughland

John Laughland

John Laughland est docteur en philosophie (Oxford). Auteur notamment de Travesty: the Trial of Slobodan Milosevic and the Corruption of international justice (Pluto Press, 2007) et A History of Political Trials from Charles I to Charles Taylor (2e édition, Peter Lang, 2016).
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